La disparition du sujet d’invention au bac de français : une décision malencontreuse.

Selon Le Monde, le gouvernement prévoit, dans sa réforme du bac, de supprimer l’un des 3 sujets de l’écrit de français, à savoir le sujet d’invention, pour cause de « bilan mitigé ».

Le verdict n’est pas faux, car l’arrivée, en 2002, de ce nouvel exercice, a déséquilibré les choix des candidats au bac, et donc en amont, la préparation des 3 exercices, les 2 autres restant (historiquement) le commentaire composé et la dissertation. Pour beaucoup, le sujet d’invention est devenu le sujet sur lequel on se rabat, puisqu’a priori, il ne nécessite pas de connaissances techniques ou littéraires. Il y avait donc des tas de mauvaises raisons de prendre le sujet d’invention au bac, et certaines copies ne faisaient effectivement pas honneur à leurs auteurs… Pour autant – et au-delà de ce déséquilibre stratégique – est-ce qu’en lui-même le sujet d’invention était un sous-exercice, méritant de finir à la poubelle ?

Il faut rappeler ici pourquoi ce sujet a été proposé il y a une quinzaine d’années. De nombreux professeurs, pédagogues et écrivains, se plaignaient, à raison selon moi, du fait que l’initiation aux grands textes littéraires ne se fît que par le biais de l’analyse. Penser que relever des périphrases dans un poème de Hugo et connaître les dates de naissance et de décès de Chateaubriand puissent suffire à faire de futurs lecteurs (parce que c’est tout de même le but, non ?), voilà qui ne satisfaisait pas ces pédagogues, qui réclamaient autre chose que l’analyse et la confrontation. Il s’agissait de faire écrire, et non plus seulement de faire analyser des écrits.

Je prends une image. Vous voulez faire découvrir l’équitation à un adolescent. Vous l’emmenez donc dans un club, lui montrez des chevaux, des boxes, des cavaliers et cavalières trotter, galoper, franchir des obstacles, etc. Puis, vous l’emmenez avec d’autres adolescents dans une confortable salle de projection, où vous lui diffusez d’intéressants documentaires sur la vie du cheval, son entretien, puis vous lui montrez les plus beaux championnats d’équitation, de dressage… Puis vous l’emmenez dans une salle avec un tableau, lui enseignez les bases de l’hippologie, il doit prendre des notes, retenir des noms complexes… alors vous lui donnez un temps déterminé pour les mémoriser, en lui disant qu’il aura un contrôle. Vous lui faites ce contrôle, lui mettez une note, et le renvoyez chez lui. Avez-vous fait découvrir le cheval à cet adolescent ? Est-ce que vous n’avez pas oublié, dans votre vaste programme, une chose, une toute petite chose, un infime détail ?… Peut-être auriez-vous pu, avec les précautions nécessaires, le faire monter sur un cheval, non ?

C’était le sens du sujet d’invention. Non seulement il confrontait l’élève à ce si beau travail d’artisanat des écrivains, mais il était aussi voué à tirer leur style vers le haut. Si vous êtes capable de rédiger un pamphlet ou un poème en vers libre, vous n’aurez guère de difficulté à rédiger une lettre de motivation…

Supprimer le sujet d’invention, c’est revenir à cette intellectualisation exclusive des textes littéraires qui ne les fait pas aussi bien découvrir qu’elle le croit. Je renvoie au mémorable Cercle des poètes disparus qui démontre tout cela très bien. La part sensible de la lecture n’est pas une option. On ne transmet pas une poésie comme on transmet la structure d’une molécule ou la signature d’un armistice. C’est là toute la particularité des Lettres, qui ne sont pas tant une discipline de connaissances qu’une sensibilité.

Pour autant, je n’irai pas condamner totalement l’approche analytique. L’étude approfondie d’un grand texte, jusque dans ses coutures les plus fines (le commentaire), et la confrontation de plusieurs textes autour d’une question (la dissertation) sont deux excellentes activités. La première permet de découvrir précisément toutes les potentialités de la langue (le sous-entendu d’un adjectif, la dimension d’un temps, l’émotion contenue dans une périphrase…) ; la seconde, qui est la Rolls Royce des sujets du secondaire et du supérieur, apprend à relier les points, à confronter et organiser des connaissances autour d’un axe précis. La légitimité et l’utilité de ces deux exercices n’est même pas à discuter. Ce que je regrette (par anticipation), c’est qu’ils ne soient plus équilibrés par un sujet de production écrite créative. A priori la réforme s’oriente vers la proposition d’une deuxième dissertation, peut-être avec l’idée de s’aligner sur l’épreuve de philo, qui est constituée d’un choix entre deux sujets de dissert et une explication de texte. Mais la philo et les Lettres ne sont pas la même chose…

En faisant disparaître le sujet d’invention, le ministère ampute, à mon avis,  l’initiation aux grands textes de sa part active et sensible : l’objet littéraire reste enfermé dans le bocal des « sciences » humaines.

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mardi 13 mars 2018

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