Philosophe et/ou intellectuel ?

On entend si souvent des personnalités médiatiques se faire appeler « philosophes » qu’il ne me semblerait pas inutile de se demander si un tel affichage est mérité – et quel sens il a.

Si « philosopher » est la prérogative et la liberté de tout être doué de raison, à partir de quel moment le statut de philosophe peut-il légitimement être décerné à quelqu’un ?

Une distinction lexicale me paraît pertinente ici, entre le philosophe et l’intellectuel.

La plupart des personnalités médiatiques dont j’ai parlé me semblent plutôt être des intellectuels que des philosophes, car ne mérite pour moi le nom de philosophe que celui qui produit des concepts philosophiques ; l’intellectuel ne fait que donner son avis, qui peut être profond, éclairé, éclairant même, mais la démarche n’est pas la même.

Pour prendre des exemples canoniques, je qualifierais à ce titre Rousseau de philosophe et Voltaire d’intellectuel.

Qui fait quoi ?

Je ne voudrais pas donner l’impression de jouer sur les mots, mais il me semble important, en cette ère médiatique qui donne aux apparences encore plus de pouvoir d’illusion, de rendre aux philosophes ce qui leur appartient : la plupart du temps ils sont gens discrets, fuyant les polémiques et studieusement occupés à leur création, dans le calme d’une bibliothèque ou de leur bureau, dont la fenêtre donne sur un paysage familier.

L’intellectuel, qui souvent utilise et/ou diffuse les concepts créés par des philosophes, est un homme engagé dans l’actualité immédiate, dans la politique. Flaubert comparait Voltaire à une « machine de guerre » : ce sont des passeurs, des hommes et des femmes capables de donner de la perspective, du fond aux combats du jour.

Sartre a été les deux, créateur de concepts philosophiques et homme de son temps : la postérité jugera où il a été le meilleur.

Mais n’appelons donc plus philosophe quelqu’un qui reprend, parfois sans le dire, les idées d’un autre, ou de plusieurs autres. Et à tous ceux qui courent un peu trop les médias pour montrer à quel point ils sont intelligents et ont fait le tour de tous les sujets, il faudrait redonner ces sages conseils d’Épictète :

« Ne te dis jamais philosophe, ne parle pas abondamment, devant les profanes, des principes de la philosophie; mais agis selon ces principes.
Par exemple, dans un banquet, ne dis pas comment il faut manger, mais mange comme il faut. Souviens-toi en effet que Socrate était à ce point dépouillé de pédantisme que, si des gens venaient à lui pour qu’il les présente à des philosophes, il les conduisait lui-même tant il acceptait d’être dédaigné. Et si, dans une réunion de profanes, la conversation tombe sur quelque principe philosophique, garde le silence tant que tu le peux; car le risque st grand que tu ne recraches trop vite ce que tu n’as pas digéré. Alors si quelqu’un te dit que tu es un ignorant et que tu n’en es pas meurtri, sache que tu commences à être philosophe. Car ce n’est pas en donnant de l’herbe aux bergers que les brebis montrent qu’elles ont bien mangé, mais en digérant leur nourriture au-dedans et en fournissant au-dehors de la laine et du lait. Toi non plus donc, ne montre pas aux gens les principes de la philosophie, mais digère-les et montre les œuvres qu’ils produisent ».
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mardi 14 mars 2017

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