Pourquoi une évaluation devrait-elle être une « épreuve » ?

Dans la foulée de mon précédent article sur le stress au bac, je m’arrête ici sur un mot dont l’emploi me semble à lui seul résumer le problème que j’essaie de pointer : le détestable mélange de l’instruction et de la performance, la transformation de la culture et des connaissances en objets de compétition, et donc de rivalité(s).

On dit donc : passer les épreuves du bac… Passer les épreuves anticipées du bac de français, l’épreuve d’Histoire, l’épreuve d’admissibilité, etc. Notez que c’est le même mot que dans le sport : l’épreuve de relais 4×100 mètres, l’épreuve de plongeon, les épreuves qualificatives… C’est encore ce même mot qu’on utilise de manière plus générale pour qualifier l’adversité : subir une épreuve terrible, l’épreuve de la maladie, les épreuves de la vie… Si l’on se tourne vers un bon dictionnaire, parmi les nombreux sens du substantif, on déniche son acception « scolaire » : Exercice pratique écrit ou oral que subit un élève en classe ou lors d’un examen afin d’être jugé selon ses capacités.

Je retiens deux choses de cette définition : « subit » et « être jugé ». Tout d’abord, l’élève (le collégien, le lycéen, l’étudiant, le candidat, l’apprenant…) est contraint d’être examiné, selon des modalités et des conditions qui lui sont imposées de l’extérieur et auxquelles il doit s’adapter, sous peine d’être arrêté dans sa progression, exclu de sa formation ; ensuite il y a dans cette épreuve un jugement, c’est à dire quelque chose qui dépasse de très loin la simple information sur l’état de ses connaissances et de ses aptitudes, et qui va impliquer, de façon tout à fait impropre, sa personne, ce qu’il est, ce qu’on lui dit qu’il « vaut » (verbe assez horrible quand il est appliqué à une personne, non ?) Il faudrait s’étonner ensuite qu’il le vive mal si on lui a mis en rouge dans la marge d’une de ses copies : « Creuse encore, tu touches presque le fond » ? Je n’exagère pas, je cite.

Après ces considérations lexicales, qui montrent combien le terme d’épreuve(s) est chargé négativement, je n’ai plus qu’à poser la question qui m’intéresse :

En quoi est-il nécessaire que l’évaluation se déroule dans cette ambiance ?

Il me semble difficile de soutenir qu’on peut organiser un parcours d’apprentissage sans évaluation : une sage progressivité doit permettre d’atteindre, par paliers successifs, les régions plus hautes d’une discipline. Pour prendre des exemples dans mon domaine, on n’initie pas quelqu’un à la poésie avec Mallarmé, on n’apprend pas le subjonctif avant de maîtriser l’indicatif. Mais ces paliers ne doivent pas être aussi brutaux et définitifs qu’ils le sont dans leur conception actuelle : le passage et le diplôme. Le premier exerce un chantage existentiel sur l’élève ; le second, comme le démontre si brillamment Paul Valéry (ici) est « l’ennemi mortel de la culture », parce qu’on travaille pour déjouer le contrôle et non pour acquérir durablement un connaissance.

Je propose trois pistes : une généralisation du contrôle continu (en veillant à ce qu’il ne soit pas biaisé par des évaluateurs complaisants), un découpage des gros tests en autant de petits tests que la logistique le permet, et la solution originale d’épreuve sans temps, comme certaines écoles ont commencé à l’expérimenter -toutes ces alternatives, et d’autres à inventer, visant à diluer, puis à faire disparaître cette souffrance indue de l’épreuve qui, chez certains, atteint des proportions insupportables.

 

mardi 28 juin 2016

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