Je vais me servir d’un exemple contextuel -les débats qu’il y a eu avec les « anti-confinement », non pas pour donner mon point de vue à ce sujet, mais pour illustrer un point de méthodologie philosophique que je juge très important.
Il s’agit donc, comme mon titre le suggère, de réfléchir au lien émotionnel que j’ai avec mes propres opinions. Voici quelques autres questions qui pourraient graviter autour de la formulation initiale : mes opinions doivent-elles m’arranger ? Ou doivent-elles me déranger ? Ou peuvent-elles me déranger (ce qui est un peu différent) ? Ou encore : mes opinions sont-elles faites pour m’arranger ? Ou encore plus loin : d’où viennent vraiment mes opinions ?
J’ai observé, pendant ce débat autour du confinement, des gens développer toute une stratégie argumentative sur la base de leur déplaisir. Or, était-ce la question ici de savoir si on « aimait » être confiné ? Je crois que personne n’aimait vraiment cela, mais que la seule question valable en la situation était plutôt : est-ce que le confinement sera efficace -ou pas- pour enrayer l’épidémie ? (Je crois qu’on a eu la réponse depuis…) Donc, pour en venir à mon point, il ne s’agissait pas de se demander si nous appréciions ou non la moins mauvaise solution qui se présentait, sur la base de données scientifiques, mais de l’accepter si notre raisonnement la validait -indépendamment du fait que cela nous plaise ou nous déplaise. Quelque individu qui, par hasard, aurait aimé être confiné était censé, en écoutant les mêmes arguments, aboutir au même résultat.
Je dois donc, non pas me méfier, mais avoir conscience des émotions que j’ai, et qui pourraient infléchir mon raisonnement dans une direction fausse, mais que j’emprunterais parce qu’elle m’arrange sur le moment -voire carrément générer tout un édifice branlant sur ce socle. Je dois essayer de « décorréler » ce que j’ai envie de penser de mon raisonnement lui-même. Si je ne le fais pas, je risque de tomber dans ce qu’on appelle en sciences cognitives le « biais de confirmation d’hypothèse ».
Il ne s’agit pas non plus d’opposer ma réflexion et mes émotions par principe : un raisonnement peut très bien me conduire dans une direction que j’espérais -il n’en est pas forcément suspect, tant que j’ai des arguments consistants ; mais je dois aussi avoir le courage de reconnaître un résultat qui me déplaît, qui va dans un sens qui me pénalise ou me désavantage, tant -identiquement- que ses arguments sont solides.
S’il est imprudent de produire un raisonnement uniquement dans le but de justifier mes émotions ou humeurs, il serait tout aussi imprudent de tomber dans l’extrême inverse, qui consisterait à disqualifier par principe mes ressentis et émotions, en pensant d’eux qu’ils ne peuvent que m’égarer. Non, il arrive aussi que l’avancée de mon raisonnement, sur la base des informations que je collecte, aille dans le sens de ce que j’appellerai, a posteriori, mon intuition.
Nous avons tous des biais émotionnels : ils ne deviennent « dangereux » d’un point de vue intellectuel (c.a.d. susceptibles de nous embarquer dans un raisonnement complaisant, et donc faux au bout du compte) que si nous n’avons pas conscience de leur influence. Quand cette conscience se fait, ces biais perdent de leur attraction systématique et peuvent même s’intégrer harmonieusement à une démonstration rigoureuse.
On dit qu’il faut être prêt à « tout plaquer » pour la vérité, cela inclut donc aussi certaines choses qui m’auraient arrangé.
mardi 26 mai 2020