Balzac et Twilight

– Tu lis?
– Non. Enfin… non…
Et mon élève baisse les yeux. Je repose ma question :
– Pas du tout?
– Je lis Twilight.

Pour cet élève, comme pour beaucoup d’autres, ce qu’il lit n’est pas vraiment de la lecture et le plaisir qu’il prend n’est qu’un plaisir clandestin. Pourquoi pense-t-il cela ? Parce que son prof de français l’a toisé, en ironisant sur Tolkien, Harry Potter et autres ouvrages « nuls » et « commerciaux », qu’il a bien sûr opposés aux « grands chefs d’œuvre de la littérature », dont cet élève a eu l’impression, en essayant d’avancer dans leurs pages, contraint et forcé par le contrôle de lecture de la semaine suivante, qu’ils étaient écrits dans une autre langue !
Comme Daniel Pennac l’a si bien démontré, une telle opposition est contre-productive. Évidemment les parents ont embrayé derrière le professeur, en improvisant un poignant sermon sur la « culture générale », mais cet adolescent sait très bien que ses parents ne lisent pas Balzac, qu’ils ne lisent pas du tout d’ailleurs…
Il faut considérer tout plaisir de lecture comme un départ, comme une jeune pousse qu’il faut arroser délicatement pour qu’elle se développe, et non essayer d’arracher pour y planter un gros arbre mort à la place. Le plaisir de cet élève, fût-il de lire Twilight, il faut commencer par le valider si l’on veut un jour, comme le dit joliment Pennac, « l’emmener respirer chez l’ami Balzac ».
Car c’est bien là l’intention de ce prof qui a toisé l’élève, non? Alors, veut-il y parvenir? Veut-il être ce guide de montagne, puis de haute montagne, en se moquant des goûts de ceux qu’il prétend conduire? Parce qu’en faisant cela, il dessert à la fois ses élèves (qu’il laisse sur place) et Balzac, qu’il condamne à la poussière d’une vieille étagère.

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