L’accord des noms composés : un exemple de difficulté orthographique « intéressante ».

Ce que j’appelle une « difficulté intéressante » est une difficulté dont la résolution fait appel à l’esprit d’analyse et à la logique – à la différence d’une difficulté dont la réponse présenterait quelque chose d’arbitraire ou de hasardeux, et qu’on pourrait alors qualifier d’anomalie.

La règle de départ est simple et se réfère à la grammaire : quand on passe un nom composé au pluriel, les noms et les adjectifs peuvent s’accorder, et on n’accorde jamais les verbes, adverbes et prépositions. Des libresservices, des chouxfleurs, des avantgardes, des portemanteaux, des fersàsouder.

Jusqu’ici, tout va bien. Mais tout est dans le « peuvent ». Car certains noms et adjectifs ne s’accorderont pas dans certains cas, que la logique – et non l‘humeur de quelque académicien – commandera.

On écrira donc des gratte-ciel, sans accorder le nom ciel, parce qu’il n’y a qu’un seul ciel. Dans arcs-en-ciel, c’est la même chose, sauf qu’on a accordé arcs : il peut en effet y avoir plusieurs arcs dans ce même ciel. Pommes-de-terre suit la même logique : plusieurs pommes dans la terre. L’accord de pied-à-terre, qui s’écrit de cette manière au singulier comme au pluriel, est assez complexe : le sens de l’expression figurée veut qu’on ne pose qu’un seul pied sur la terre (un petit appartement dans une ville où l’on ne compte pas s’installer), même si c’est à plusieurs endroits : cet architecte a des pied-à-terre dans les grandes villes européennes. Des coups-de-pied : plusieurs coups  mais -à moins d’être Bruce Lee- avec un seul pied à chaque fois. Des noms peuvent ne pas s’accorder quand ils désignent une matière : des chasse-neige (qui chassent la neige), des coupe-papier (qui coupent le ou du papier) ; ou une entité générale : des lave-vaisselle, des sèche-linge, etc…

Je termine avec le subtil cas des chefs-d’œuvre : l’œuvre désigne ici l’ensemble des livres (par exemple) d’un auteur. On dira donc que Le Père Goriot est le chef-d’œuvre de Balzac, c’est-à-dire le meilleur livre de tous les livres de Balzac. Mais on ne choisit qu’un seul livre parmi tous. Si on veut donc écrire que Le Père Goriot et Notre-Dame de Paris sont des chefs-d’œuvre du XIXème siècle, c’est qu’on considère que ces deux livres sont, chacun, le meilleur livre de l’œuvre de chacun de leurs auteurs : deux livres, mais un par œuvre.

_

_

mardi 26 décembre 2018

_

_

_

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.