Dissertation de philosophie : interrogez le présupposé.

Voilà bien l’outil le plus commode pour débrouiller vos sujets de philo : le présupposé. De quoi s’agit-il ? Si l’on partait d’un peu plus loin, on pourrait d’abord dire de lui qu’il est une sorte de cousin éloigné du préjugé. Dans les deux cas, le sens est assez simplement indiqué par la composition du mot :

pré-jugé : ce qu’on juge avant de le connaître, avant même d’y avoir pensé une seule fois par soi-même ;

pré-supposé : ce qu’on suppose avant, « que l’on admet, implicitement ou explicitement, préalablement » (TLF).

Ainsi, le sujet : « Ne travaille-t-on que pour gagner de l’argent ? » (tombé il y a quelques années) présuppose que la motivation exclusive (« ne… que pour ») du travail est l’argent, en l’occurrence le salaire. Vous devez donc premièrement dégager le présupposé, comme on extrait un marron de sa bogue, pour le cuisiner, pour l’interroger ; à la limite, personnifiez-le et, tel Diderot, faites-le parler :

A. – Alors, B (ou plutôt P.), que penses-tu ? que dis-tu ?

P. – Je pense que les gens ne travaillent que pour gagner de l’argent.

A.- Très bien. Donne-moi tes arguments.

P.- Demande aux gens dans la rue pourquoi ils se lèvent pour aller travailler. Il faut bien subvenir à ses besoins vitaux… et depuis que nous ne sommes plus des chasseurs ou des agriculteurs, on va travailler pour « gagner à la sueur du front » notre pitance, via le salaire. De plus, imagine quelqu’un qui gagnerait une grosse somme d’argent à la loterie, ne s’arrêterait-il pas illico de travailler ? « Au revoir,  président… » (Vous avez votre 1)

A.- Tu n’as pas tort. Mais que dis-tu, maintenant, des gens qui travaillent sans gagner d’argent : les bénévoles, certains artistes, une mère ou un père au foyer ? (Vous avez votre 2)

P.- Je n’y avais pas pensé.

A.- Si, donc, on ne travaille pas que pour gagner de l’argent, c’est qu’il existe d’autres motivations au travail : le plaisir, l’utilité, le lien social, l’objectivation de soi… Et vous déroulez votre 3.

Pardon pour ce traitement rapide et schématique d’un si vaste sujet, mais il vise à décrire une démarche consistant à démonter un présupposé, soit en en montrant les limites, soit en lui opposant une contradiction, partielle ou totale. La plupart* des sujets de dissertation sont construits de cette manière :

Le présupposé dans la dissertation de philosophie
Extrayez le présupposé du sujet.

Je comparais au départ les présupposés et les préjugés, cousins parce que procédant d’une même précipitation, éloignés parce que moins plombés qu’eux. Le préjugé a quelque chose de définitif et de potentiellement dangereux ; le présupposé n’attend que d’être révélé pour être nuancé. Mais tout comme la philosophie cherche à combattre le préjugé, sa version scolaire cherche à démonter le présupposé ; dans les deux cas une même démarche intellectuelle est en œuvre : remettre en cause ce qu’on admettait sans même savoir qu’on le pensait. Il est à noter qu’il ne s’agit pas pour autant de renverser toutes les tables, dans la mesure ou certains présupposés peuvent avoir une part de vérité, mais de les examiner, comme Descartes l’explique si bien dans sa limpide allégorie du panier de pommes :

« Je me servirai ici d’un exemple fort familier pour lui faire ici entendre la conduite de mon procédé, afin que désormais il ne l’ignore plus, ou qu’il n’ose plus feindre qu’il ne l’entend pas. Si d’aventure il avait une corbeille pleine de pommes, et qu’il appréhendât que quelques unes ne fussent pourries, et qu’il voulût les ôter de peur qu’elles ne corrompissent le reste, comment s’y prendrait-il pour le faire ? Ne commencerait-il pas tout d’abord à vider sa corbeille ; et après cela, regardant toutes ces pommes les unes après les autres, ne choisirait-il pas celles-là seules qu’il verrait n’être point gâtées, et, laissant là les autres, ne les remettrait-il pas dedans son panier. Tout de même aussi, ceux qui n’ont jamais bien philosophé ont diverses opinions en leur esprit qu’ils ont commencé à y amasser dès leur bas âge, et, appréhendant avec raison que la plupart ne soit pas vraies, ils tâchent de les séparer d’avec les autres, de peur que leur mélange ne les rende toutes incertaines. Et pour ne se point tromper, ils ne sauraient mieux faire que de les rejeter une fois toutes ensemble, ni plus ni moins que si elles étaient toutes fausses et incertaines ; puis les examinant par ordre les unes après les autres, reprendre celles-là seules qu’ils reconnaîtront être vraies et indubitables. C’est pourquoi je n’ai pas mal fait au commencement de rejeter tout ; puis considérant que je ne connaissais rien plus certainement ni plus évidemment sinon que moi, qui pensait, étais quelque chose, je n’ai pas eu aussi mauvaise raison d’établir cela comme le premier fondement de toute ma connaissance ; et enfin je n’ai pas aussi mal fait de demander après cela ce que j’avais cru autrefois que j’étais, non pas afin que je crusse encore de moi toutes les mêmes choses, mais afin de reprendre celles que je reconnaîtrais être vraies, de rejeter celles que je trouverais être fausses , et de remettre à examiner à un autre temps celles qui me sembleraient douteuses. »

Qu’un tel exercice, sous forme de composition française, soit un sommet de l’enseignement secondaire, cela ne fait nul doute.  Si (ou quand) cela marche, l’élève acquiert un embryon d’esprit critique qui le rend capable d’examiner non seulement les présupposés qui fondent la société dans laquelle il vit, mais également ses propres supposés… Je ne peux terminer cet article sans remercier mon professeur de philosophie de Terminale, M. T., de l’E., qui m’a enseigné cette lumineuse méthode, qui ne sert pas qu’à augmenter sa moyenne.

* Certains sujets n’ont pas de présupposé ou en ont un qui n’est qu’impliqué par la question du sujet.

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mardi 12 décembre 2017

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