Du temps pour lire

La lecture est en train de connaître une révolution aussi considérable que celle qu’elle a connue quand, aux premiers temps de l’imprimerie, on est passé d’une lecture orale et collective à une lecture silencieuse et individuelle; avec le numérique et la multiplication des supports écrits, c’est à la problématique du temps qu’elle va être confrontée de manière radicale.
Le lecteur du XXIe siècle est pressé; que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons, c’est un fait nouveau incontestable.

Peut-on bien lire quand on est pressé?

Les technophiles répondront un « oui » enthousiaste à cette question (sous-entendu: on perd moins de temps); les puristes de la lecture et les technophobes répondront un « non » absolu à cette même question (sous-entendu: une lecture rapide est forcément superficielle). Les deux camps ont de bons arguments, même si le second semble l’emporter chez les intellectuels et les écrivains.
Je propose de répondre autrement que par oui ou non à cette question.
Tout dépend de ce qu’on lit.
S’il s’agit, d’informations factuelles, oui, sans problème. S’il s’agit d’une poésie de Verlaine, non, trois fois non.
D’un point de vue pédagogique, le maître se doit donc d’apprendre à l’élève à lire à un rythme adapté à ce qu’il lit.

Que la prise d’informations connaisse un processus d’accélération lié à de nouveaux supports n’est pas forcément une mauvaise chose, et ceux qui défendent l’idée d’une plus grande vivacité d’esprit des enfants du Net n’ont pas tort sur toute la ligne.

Mais en ce qui concerne le français, et plus précisément la littérature, la vitesse n’a aucune efficacité, et au contraire il faut apprendre à aller lentement si l’on veut bien lire.

Le comte de Monte-Cristo fait 1600 pages. Il est possible de résumer l’histoire d’Edmond Dantès, ainsi que son propos (même légitime, la vengeance devient illégitime) en moins d’une page, en quelques lignes; mais en lire, comme je l’ai fait un été, les 1600 pages, constitue une expérience bien plus forte, plus marquante, et dont l’empreinte sera bien plus durable que de simplement en prendre connaissance par le biais d’un condensé, d’un « digest », aussi bien écrit soit-il. Pourquoi? Parce que dans une lecture longue (s’échelonnant par intervalles sur plusieurs jours, plusieurs semaines, voire plusieurs mois) se mêle au temps du récit le temps du vécu de son lecteur. Le texte n’est que cet espace intermédiaire, ce lieu de rencontre entre la subjectivité de l’auteur et celle du lecteur. Le sentiment d’injustice dont Dumas traite, je n’ai pu vraiment le ressentir, ainsi que ce brouillage progressif entre la vengeance et la justice, qu’en suivant patiemment les péripéties du roman, en allant, avec son héros, des geôles du château d’If à l’étrange dénouement.

 

28 octobre 2014

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