Être « pour ou contre » : une réflexion faussée dès le départ

Dans une certaine émission de télé à forte audience (hélas), on peut voir des invités commenter les sujets les plus sérieux, affublés de panneaux « Pour » ou de panneaux « Contre », ce qui permet au spectateur qui prendrait en cours de connaître le positionnement de tel ou tel par rapport à la question rappelée dans le bandeau. C’est bien pratique. Mais n’est-ce pas également bien idiot ?

C’est surtout symptomatique (d’une tendance que nous pouvons d’ailleurs tous avoir) : en (se) forçant ainsi à prendre parti de manière binaire sur des sujets qui réclameraient du temps et des connaissances, on caricature la réalité en la tiraillant de droite ou de gauche et, alors même qu’on prétend en parler, on la fait disparaître derrière de sempiternelles querelles de personnes. Le match ainsi organisé tournera à l’avantage non pas du plus profond, mais de celui qui fera un bon mot. Tout le monde voit bien, d’ailleurs, que c’est là le vrai but de ce type d’émissions : provoquer du clash sous couvert de traiter un sujet. On prétexte une opposition constructive, alors qu’on ne cherche en fait que le spectacle de cette opposition.

Le problème majeur de cette manière d’aborder les problèmes est qu’elle augmente le risque d’un biais dit de confirmation d’hypothèse, c’est-à-dire qu’avant de se renseigner suffisamment sur un sujet pour éventuellement se prononcer, on a déjà un positionnement qui fera qu’on mettra en avant les éléments allant dans notre sens tout en mettant sous le tapis les éléments qui iraient dans un autre sens. Dit autrement, les polémiques nous poussent à la mauvaise foi ; nous y avons plutôt une bannière à défendre qu’un sujet à approfondir. On pourrait pousser la provocation en répondant à tous ces gens vindicatifs : OK vous n’êtes pas d’accord, mais pas sûr que vous sachiez avec quoi vous n’êtes pas d’accord !

Comme Étienne Klein le fait très justement remarquer dans cette conférence (de manière générale et Jean-Marc Jancovici de manière particulière sur la question du nucléaire), les « pro » ou les « anti » ne savent parfois même pas de quoi ils parlent : ils savent qu’ils sont pour ou contre la 5G, pour ou contre le vaccin, pour ou contre le nucléaire sans même être capable de dire ce qu’est un temps de latence, un essai en double aveugle, ou de l’uranium enrichi.

Leur précipitation à prendre position pour ou contre leur met des œillères qu’ils n’auraient pas eues s’ils avaient pu avoir un panneau : « Je ne sais pas, je me renseigne« , voire encore mieux : « Je ne sais pas, donc je vais me renseigner en me réservant le temps de produire un avis qui sera dûment documenté et mûrement médité ». Mais il faut croire que ce type de panneau contient trop de lettres à lire pour des gens pressés. Quant au panneau : « Pas envie d’avoir un avis », je le trouverais tout aussi légitime. Pourquoi devrions-nous tous avoir un avis sur tout ?

Bergson disait que « nous ne voyons pas les choses mêmes » mais que « nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles » : l’obligation a priori de positionnement est l’une de ces étiquettes, qu’un raisonnement honnête devrait préalablement essayer de décoller.

Si on ne le fait pas, on signe l’arrêt de mort de la complexité, mais attention, cette dernière saura se venger.

mardi 8 février 2022

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