Si l’on voulait essayer de définir ce qu’est un « philosophe » autrement que par son étymologie (celui qui aime la sagesse), on pourrait s’amuser en faire un portrait en creux, en le définissant par ce qu’il n’est pas, voire par le contraire de ce qu’il devrait être.
Spontanément, on pourrait associer ce statut particulier (et un brin intimidant) à l’idée d’intelligence, de connaissance, chemin sur lequel on en viendrait à conclure que le contraire du philosophe, c’est l’ignorant –et l’ignorance le contraire de la philosophie. Erreur que, normalement, la première heure du cours de philo en Terminale est censée dispenser : l’ignorance est au contraire le point de départ du philosophe, ou plus précisément la conscience de l’ignorance dans laquelle nous baignons tous, le philosophe au premier chef.
« Je sais que je ne sais rien », dit Socrate, et cette phrase, qui est le plus haut signe d’humilité intellectuelle qui soit, permet et engendre toute la suite : comme j’ai conscience de ne rien savoir, ma curiosité peut s’allumer et je peux aller voir, comprendre, explorer, vérifier, analyser, découvrir, apprendre, soupeser, observer… n’importe quel objet du monde qui m’entoure. Et quand bien même j’aurais passé une année entière à étudier une langue ancienne, la vie des fourmis, les équations différentielles ou la forme d’une ville, je sais que ma connaissance acquise ne restera qu’une goutte d’eau dans l’océan de ce qui est connaissable.
Si quelqu’un donc cherche à vous en mettre plein la vue avec ses connaissances, à vous donner l’impression qu’il a fait le tour de tout ce dont il parle, à s’approprier ostensiblement un sujet pour vous faire sentir que vous en êtes exclu, à jargonner ou à ponctuer ses phrases de noms d’auteurs, ne vous laissez pas illusionner, vous n’avez pas affaire à un philosophe mais à son antitype : le pédant –non pas, donc, celui qui sait qu’il ne sait rien, mais celui qui croit, ou essaie de faire croire, qu’il sait tout. Peu importe le degré de duplicité qui se cache dans son jeu, laissez-le jaser dans sa cage et allez respirer un bon air pur dans ces conseils d’Épictète :
« Ne te dis jamais philosophe, ne parle pas abondamment, devant les profanes, des principes de la philosophie; mais agis selon ces principes. Par exemple, dans un banquet, ne dis pas comment il faut manger, mais mange comme il faut. Souviens-toi en effet que Socrate était à ce point dépouillé de pédantisme que, si des gens venaient à lui pour qu’il les présente à des philosophes, il les conduisait lui-même tant il acceptait d’être dédaigné. Et si, dans une réunion de profanes, la conversation tombe sur quelque principe philosophique, garde le silence tant que tu le peux; car le risque est grand que tu ne recraches trop vite ce que tu n’as pas digéré. Alors si quelqu’un te dit que tu es un ignorant et que tu n’en es pas meurtri, sache que tu commences à être philosophe. Car ce n’est pas en donnant de l’herbe aux bergers que les brebis montrent qu’elles ont bien mangé, mais en digérant leur nourriture au-dedans et en fournissant au-dehors de la laine et du lait. Toi non plus donc, ne montre pas aux gens les principes de la philosophie, mais digère-les et montre les œuvres qu’ils produisent ».
mardi 9 septembre 2025