Une règle d’or : perdre du temps pour ses élèves.

« Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. »

Cette réflexion de Rousseau se suffit à elle-même et tout ce que je pourrais y ajouter n’est qu’une admirative et inutile caution. Elle a été formulée à une époque où, pourtant, les hommes n’étaient pas si pressés ; cela ne la rend que plus précieuse aujourd’hui.

Qu’il s’agisse des programmes nationaux ou des plannings individuels des enseignants, on voit que la tentation pourrait être forte de « tayloriser » les programmes et les séquences de cours dans l’illusion d’atteindre une efficacité optimale, en bourrant le panier à craquer, en multipliant les disciplines, en rationalisant chaque minute de cours, en préparant des modules entièrement reproductibles, ne prenant finalement jamais en compte à qui on enseigne -je veux dire à quel(s) individu(s) particulier(s), et non à des profils sociologiques prémâchés par des statisticiens.

Avant le triomphe de la « didactique », qui n’aborde l’enseignement qu’en termes scientifiques, ce qui est sa faiblesse fondamentale, Rousseau nous dit déjà :  faites moins, mais faites mieux. Voire : faites moins, DONC mieux. De fait, que retient-on des enseignants qui passent leur temps à dire qu’ils n’ont « pas de temps à perdre » ? Où courent-ils comme ça ? Et qui les suit pour une autre raison que la peur de la note ? Que reste-t-il ensuite du contenu enseigné ?

Du temps au temps

Je me souviens de ce professeur de français que j’ai eu en Quatrième, qui avait eu une initiative curieuse : il nous avait lu en classe une nouvelle de Dino Buzzati, « Le veston ensorcelé ». Il avait pris le temps de nous la lire en entier. Comme ça. Sans « contrôle » à suivre ou « résumé de lecture » à rendre… Le texte était un peu long et il avait mis beaucoup de conviction à nous en dérouler l’histoire, page après page, en faisant planer cet étrange suspense qui y règne ; même les plus habituellement distraits d’entre nous avaient écouté jusqu’au dénouement. Et il nous avait dit à la fin de sa lecture : bonne journée, vous pouvez y aller.
Il aurait pu nous la donner à lire chez nous. Il aurait pu nous donner une liste exhaustive de judicieux conseils de lecture comprenant cette nouvelle. Non, il a juste pris du temps pour nous la lire.

En termes d’efficacité, puisque c’est par cela que nous sommes obsédés, je dois dire qu’aujourd’hui je lis toujours Dino Buzzati… Et je pourrais multiplier des exemples de ce type dans d’autres domaines. C’était d’ailleurs ce même professeur qui nous écrivait souvent au tableau cette phrase dont je ne comprenais pas encore la portée : Hâte-toi lentement.

Car perdre du temps, c’est prendre son temps, pour parvenir à entrer en contact (humain) avec son ou ses élèves (car ce que je dis vaut pour un cours à un, à cinq, à vingt, quarante ou quatre cents élèves) afin de trouver les mots justes, ici et maintenant et pas de manière générale et théorique.

Finalement quelle didactique pourrait accoucher d’une méthode globale ? Qui a fait ce rêve un peu idiot ? Et qui continue de le refaire à l’heure des nouvelles technologies ? Le seul enseignement qui tienne dans le temps est le fruit de l’effort du professeur ou de l’éducateur, de son « voyage » pour aller chercher ses élèves et les emmener ensuite sur les chemins de la connaissance.

La différence qu’il y a entre un enseignant « qui fait le job » et un enseignant qui inspirera durablement ses élèves est la même que celle qu’il y a entre un interprète et un artiste : le premier applique une partition, le second s’implique personnellement et crée -le cours de l’un est stéréotypé, le cours de l’autre est unique.
Dans la pratique, la pédagogie est davantage un art qu’une méthode.
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___________________________________________________mardi 13 septembre 2016

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Un commentaire sur “ Une règle d’or : perdre du temps pour ses élèves.

  1. Ah oui, nous qui courons après le temps sans arrêt, c’est une bien belle discussion que de perdre son temps avec l’enfant. Le passage sur le professeur qui lit une nouvelle m’a plu, c’est ce genre de professeur qui marque une vie.
    bravo pour cet article à l’angle original. cela donne des idées que j’applique à l’instant même avec ma fille puisque l’on regarde une fleur…

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